Dorohedoro, balade punk entre champignons et magie

par EmmaNouba,
Voulez-vous définitivement définir votre édition comme Français ? oui

Très attendue des fans, l'adaptation du manga culte Dorohedoro n'est pas aussi punk que son original, mais qu'importe, elle fait le job. Il aurait été difficile de reproduire la noirceur et l'aspect brouillon du trait de Q Hayashida. Si cette artiste est brillante, ses pages sont souvent totalement impossibles à traduire en anime.
Quand on plonge dans Dorohedoro en amoureux transi du manga d'origine, on craint le passage du noir et blanc à la couleur. Dès le début, un constat extrêmement subjectif s'impose : cette retranscription est à elle seule une vraie réussite. Il faut dire que pour rendre honneur à ce manga très original, une équipe de choc a été réunie : elle ne pouvait être dotée que d'un sacré courage et d'énormément de talent. C'est donc le studio MAPPA (To The Abandoned Sacred Beasts, Listeners) fondé par Masao Maruyama, ancien de Madhouse, qui a depuis passé la main à producteur Manabu Otsuka (on lui doit l'opening du très étonnant jeu Persona 5), qui s'y est collé.

Pour débroussailler le foisonnant récit de Q Hayashida, le réalisateur Yuichiro Hayashi, qui n'est pas un perdreau de l'année avec son CV long comme un jour sans pain, a fait appel à Hiroshi Seko, le scénariste de L'Attaque des Titans, une riche idée afin de rendre le récit de Dorohedoro fluide et haletant. Et que dire de l'utilisation de la 3D, pilotée par Nomoto Yuki (Inuyashiki Last Hero). N'en déplaise aux puristes, celle-ci ne pique pas l'œil et rend très bien. On retrouve aussi avec émotion les personnages et ce, grâce au talent de Kishi Tomohiro (Garo, L'Attaque des Titans). Mais c'est surtout l'ambiance, portée par la direction artistique signée par Kimura Shinji (Steamboy, et auteur avec Otomo du magnifique livre Hipira : le petit vampire) qui est parfaite.
En douze épisodes, le butineur de Netflix suivra, fasciné et parfois quelque peu effrayé, les sept premiers tomes de ce bijou aux forts accents de steampunk, entre relents de bas-fonds et fritures de gyoza. Côté version française, retardée à cause de la pandémie, elle est nickel et réunit un casting de haut vol. Le comédien Jérémie Bedrune prête sa voix à Caïman, tandis que Zina Khakhoulia (Rin dans Lost Song) incarne la plantureuse Nikaido, sa meilleure ennemie, Noi étant portée par Catherine Desplaces (que l'on ne présente plus). Saluons aussi les prestations de Tony Marot (Fujita), et de l'incontournable Constantin Pappas dans le rôle du grand méchant, En.

Un caïman pas tout seul dans sa tête
Alors pourquoi autant d'engouement autour de Dorohedoro (littéralement traduisible par « De la boue à la boue ») ? Pour l'histoire, mais surtout pour le monde imaginé dans les moindres détails par l'artiste underground. Le héros, Caïman, un homme à tête de reptile, est déjà un cas à lui tout seul. Il s'est réveillé un jour dans une rue du Hole, avec cette tête et totalement amnésique. Depuis il fait équipe avec Nikaido, une femme aux mensurations plus proches de Jean-Claude Van Damme que de Barbie. La belle sait non seulement se battre comme si elle avait passé sa vie dans les commandos U.S., mais tient aussi un restaurant, le Hungry Bug. C'est elle qui a découvert Caïman et depuis elle l'aide. On comprendra par la suite qu'elle n'est pas si innocente que cela, mais lever le voile sur Nikaido serait déjà vous ôter une partie de l'intérêt de cette première saison. Disons qu'elle se sent légèrement coupable et elle file donc un coup de main dans le nettoyage en tout genre de mages. Car le but de Caïman est on ne plus basique : retrouver sa tête et sa mémoire. Il doit ce sourire acéré à un mage qui lui a jeté une malédiction. Ce n'est pas un truc très original, car les mages passent leur temps à faire des expériences sur les humains ! Et cela donne des choses extrêmement bizarres : Caïman n'entend pas seulement récupérer sa tête et son passé mais aussi comprendre qui a tué le gars qui squatte littéralement sa gorge. « Que t'a dit le type à l'intérieur ? », demande-t-il à chaque mage qu'il attrape… Avant de l'exploser avec effet sanglant garanti. C'est en effet l'unique moyen qu'à notre héros pour trouver la vérité.
Sur le papier, la mission de Caïman pourrait être facile, mais rien n'est manichéen dans cet univers sorti de l'esprit génial de Q Hayashida, tout est double, un peu comme l'univers qu'elle nous a offert, une vision truffée de références à Alice au Pays des Merveilles.

Vendetta aux parfums d'Alice au Pays des merveilles
Caïman vit dans le Hole (le trou), le monde des humains, une cité-décharge à la Gunnm. Si ses habitants semblent sortir d'un Mad Max ou d'un Akira, ils supportent avec terreur les mages qui ont la manie de les prendre pour des cobayes. Alors que les humains traînent dans ce monde glauque, les mages habitent un univers parallèle, bien plus agréable. On y passe par des portes virtuelles que seuls quelques mages savent créer. On découvre alors un décor aux accents gothiques, aux lumières et couleurs éclatantes contrastant avec l'aspect gris et rouille du Hole.
On comprend au fur et à mesure les rapports entre ces deux populations, les premiers méprisants les seconds. Dans ce monde régit par la magie, matérialisée par des émanations de poudre noire, existe toute une hiérarchie stricte, basée non sur la force physique, mais sur la puissance de création de cette fameuse poudre, si puissante qu'elle est même vendue sous le manteau.
Le chef de cette société, En, a tout du mafieux flamboyant. Son art est complètement délirant : il a le pouvoir de transformer tout en champignon. S'il est en haut de la hiérarchie des mages, il craint les diables. Ces derniers dominent et régissent tout depuis leur cabane dans le ciel. En effet, ils sont les créateurs de ces êtres dotés de magie. Dans Dorohedoro, on ne naît pas mage, on le devient, quand les diables insèrent dans l'œil un tout petit démon. Il se combine alors avec le cerveau du futur mage, ce qui déclenche la création de poudre noire et son don. Reste ensuite au mage à apprivoiser sa magie, ce qui n'est pas sans danger.

Les diables confèrent ce rang de mage. La preuve de leur pouvoir réside dans le port d'un masque, offert par les diables. Chacun est personnalisé et reflète le pouvoir de son porteur. Outre dans la structuration parfaite de ces deux univers, l'un des intérêts indéniables de cette série tient du même côté d'une pièce de monnaie, dans les héros miroir de nos héros. Si dans le Hole, on trouve Caïman et Nikaido, dans l'autre monde, un duo aussi atypique sévit pour leur maître En. Shin et Noi sont des nettoyeurs. L'un est un mage plutôt bel homme qui a le don de tout découper en morceaux. L'autre, sa partenaire, du même gabarit impressionnant que Nikaido, elle est une réparatrice. Tel un grain de sable, Caïman a grippé toute la machine en liquidant un des membres du clan de En, l'acolyte du bien piteux Fujita. Tout va partir en sucette. Dans le Hole, mais aussi chez les mages. Car En a la haine. Et il veut se débarrasser ce reptile qui dégomme du mage à tour de bras : le seul moyen de le tuer, puisque Caïman ne craint plus la magie, est de trouver le mage qui l'a envoûté. Une fois mort, la malédiction sera levée. Va alors se lancer dans cette folle vendetta sous les ordres de En, une galerie de personnages totalement improbables à l'instar de Ebisu (doublée par Gwenaëlle Jegou, Miyuki dans La Traversée du temps). Cette jeune fille au masque tête de mort pourrait bien être la cause de tout ce fatras, tout comme de mystérieux mages avec des croix rouges sur les yeux, très faibles en pouvoir, ou encore une espèce de bestiole, mi-porc, mi-chien, qui redonne carrément la vie sans compter un mage à la tête de dinde qui permet de créer des clones !

Dans Dorohedoro les curseurs de l'imagination mâtinée d'un gore assez présent ont été poussés au maximum. Ainsi dans le Hole, chaque année est organisée une chasse aux morts-vivants. C'est encore une conséquence des expériences des mages. En effet, la poudre qu'ils utilisent est la principale cause de pollution du Hole : elle a créé un brouillard permanent et quand il pleut (ce qui n'arrive jamais chez les mages), les résidus provoquent notamment le réveil des morts, chaque année à une date précise. Voici donc qu'un concours est organisé pour leur chasse avec à la clef des cadeaux dignes d'une loterie des plus classiques (hachoir à viande et autres appareils électroménagers). Et toute la ville part alors à la chasse aux zombies !
Mais dans l'univers des mages, le délire n'est pas plus intense. On y découvre par exemple des soirées complètement improbables dans lesquels chacun apporte un cadavre afin qu'il soit ressuscité (enfin le diablotin de son cerveau) ou alors la Blue Night, le moment où chaque mage peut trouver son partenaire et signer un contrat à vie, sous l'autorité des diables. Après avoir exploré les deux mondes, on va, comme dans Alice, passer de l'autre côté du miroir. Laissez-vous tenter, sautez dans le Hole !

Une fois la saison engloutie, les accros aux crocs de Caïman et aux petits plats de Nikaido seront rassurés puisqu'une saison 2 est déjà sur les fourneaux et que 16 tomes du manga restent à explorer. Et les plus en manque pourront déguster en attendant les 6 OAV reprenant les chapitres bonus du manga.


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